Celles, le village qui se réinvente
Ne pas se fier à sa première impression. Niché au bord du lac du Salagou, au cœur du département de l’Hérault, entouré de montagnes rouges et baigné par des eaux bleutées, le hameau de Celles présente au premier abord des airs de village abandonné. Maisons en ruine, toits effondrés, grillages de protection disposés autour des bâtisses les plus dégradées. Mais à y regarder de plus près, les maisons en ruine cachent de récentes rénovations, les restes des toits effondrés sont peu à peu évacués et les grillages délimitent surtout de futures reconstructions. Face au lac, le futur espace de bureaux partagés attend l’installation de la fibre. De l’autre côté de la place, la mairie est ouverte. Derrière, dans la grand-rue, plusieurs maisons sont désormais habitées. Celles renaît peu à peu.
L’endroit était pourtant voué à disparaître, au sens propre comme au figuré. En 1959, alors que la viticulture locale se meurt, les autorités décident de favoriser la création de vergers dans la vallée. Et pour cela, il faut de l’eau. Beaucoup d’eau. Dix ans plus tard, en 1969, un lac artificiel submerge la vallée sur près de 750ha. Le village de Celles doit disparaître lors de la deuxième phase de remplissage, censée porter le niveau de la retenue d’eau à l’altitude de 150m. Celles culminant à 143m, l’affaire est entendue. Certains des 80 habitants vendront leurs maisons, d’autres résisteront. Jusqu’à l’expropriation. S’ensuivront 56 ans de lutte, marqués par l’abandon de cette deuxième phase de remplissage. Vidé de ses habitants, le hameau ne disparaîtra pas. Il est en revanche désert, pillé, abandonné.
«AUCUNE VENTE DE BIENS IMMOBILIERS»
Mais, grâce à la persévérance d’une poignée d’habitants, emmenés par le maire de la commune, Joëlle Goudal — elle-même «fille d’expropriés» — l’histoire s’accélère au cours des dernières décennies. 2010 : le département de l’Hérault rétrocède le village à la commune, qui devient propriétaire du bâti. 2019 : les premiers contrats de prêt à usage — nous y reviendrons — sont signés. Aujourd’hui, en 2025, trois maisons sont entièrement réhabilité es et un fonds de dotation a été créé afin de piloter l’opération. Ce montage juridique, «c’est la clé de voûte du projet», se félicite l’architecte Vincent Courteaux, habitant du village, adjoint à l’urbanisme et lui-même auteur de la première «autoreconstruction» de Celles. Ici, la question du foncier a été abordée de façon politique. En témoignent le premier des six principes qui définissent le projet communal: «Nous ne voulons pas de spéculation. Dans le bourg de Celles, il n’y aura que des propriétés d’usage et aucune vente de biens immobiliers».
Au bord du lac du Salagou, projection de ce que deviendra le hameau de Celles une fois entièrement réhabilité.
«Au départ, on nous a un peu regardés comme des bêtes curieuses, notamment parmi les élus du territoire», observe Vincent Courteaux dans un sourire. Mais la démarche, aussi originale soit-elle, suscite aussi l’intérêt des services techniques des collectivités, du conseil départemental, de la préfecture de l’Hérault ou d’acteurs comme la Fondation de France et la Banque des territoires, partenaires du projet. Dans une société où la pierre reste le placement phare des Français, le système des contrats de prêt à usage peut sembler anachronique: chaque famille sélectionnée reçoit l’usage d’une maison pour une durée de 35 ans, en contrepartie de quoi elle doit procéder à sa reconstruction, l’occuper à temps plein et y pratiquer une activité professionnelle permanente, durable et «non commerçante». En cas de départ, pas de revente donc, mais une indemnisation basée sur la valeur d’usage des locaux réhabilités. «Quand les gens du coin ont compris qu’on ne ferait pas de bénéfice sur l’immobilier, qu’il serait impossible aux nouveaux habitants de spéculer sur les vestiges d’une histoire douloureuse pour les familles qui sont parties et que l’ambition était bien de faire revivre le village, le regard a changé», note l’architecte. Autre pilier du système, le rôle joué par le fonds de dotation. «Un excellent outil de gestion du foncier», souligne l’adjoint à l’urbanisme, un véhicule permettant de recevoir et de gérer des financements mais surtout un verrou censé permettre que «le hameau de Celles et ses environs ne fassent pas l’objet de spéculation, n’entraînent pas un effet de tourisme de masse et que son écosystème soit protégé dans toutes ses dimensions sociales, économiques et environnementales» (1).
Le fonds, «opérateur privé d’intérêt général à but non lucratif» et désormais propriétaire du foncier racheté à la commune, est également en charge de la sélection des dossiers des candidats à l’installation. À ce jour, trois familles sont engagées dans la démarche. Ils et elles sont architecte, infirmière, boulangère et menuisier. Cinq autres, dont un médecin et une sage-femme, les rejoindront dans les 18 mois à venir. À terme, onze familles viendront redynamiser le hameau dans le cadre de ces prêts à usage. Une douzaine de logements à loyer modéré, destinés à des familles à faibles revenu et à des personnes âgées, viendront compléter le dispositif, ainsi qu’un commerce associatif, des bureaux partagés et une maison de la recherche. L’objectif est de repeupler Celles en respectant un cahier des charges détaillé dans «les accords du Cérébou»: non-spéculation, habitat à l’année, mixité sociale, intergénérationnelle et culturelle, commerce unique et non lucratif, dynamisme économique, accueil et vie locale.
LUTTER CONTRE LE SURTOURISME ET LA GENTRIFICATION
Le cœur du projet est d’éviter à Celles le destin de nombreux villages attractifs, étranglés par la hausse du foncier liée aux résidences secondaires, au développement des plateformes de type Airbnb et à la pression touristique. «J’avais été le témoin du double processus de gentrification et d’explosion des locations saisonnières à Paris, puis je l’ai été à nouveau en arrivant dans le département», se souvient Vincent Courteau. Convaincue que l’avenir du village de Celles, situé au cœur d’un site exceptionnel, n’était ni dans le surtourisme ni dans la construction d’un petit eldorado immobilier, la municipalité a donc choisi la voie de ce projet original. Pour l’épauler, elle a installé dans la gouvernance du fonds de dotation trois collèges. Le premier comprend les habitants de Celles (résidents ou ayant signé un prêt à usage), le second est composé d’élus du territoire, le troisième accueille des tiers dotés d’une expertise spécifique. Ensemble, ils seront les garants de la conduite du projet. Et de la résurrection d’un village promis à la disparition.
(1) Statuts du fonds de dotation, juin 2024
À LIRE AUSSI
• Ces initiatives qui bousculent la logique spéculative
• Acheter la forêt pour mieux la protéger
• Sortir les terres agricoles de l’équation marchande
Retrouvez ces articles et l’ensemble du dossier consacré aux modes alternatifs de gestion du foncier dans le magazine novendi n°4, décembre 2025, en consultant notre page «Le magazine».

